Les agonistes du récepteur du GLP-1 (AR-GLP1) et les inhibiteurs du sodium-glucose co-transporteur 2 (i-SGLT2) ont des effets favorables sur le poids et l’inflammation [1], ce qui pourrait suggérer un effet bénéfique dans la prévention des hépatopathies métaboliques (MASLD, pour Metabolic dysfunction-Associated Steatotic Liver Disease) et de leurs complications. Des essais randomisés contrôlés réalisés chez des patients atteints de MASLD ont montré que les AR-GLP1 et les i-SGLT2 réduisaient la graisse intra-hépatique [2,3]. Cependant, il n’est pas clairement établi si ces médicaments réduisent ou non l’incidence des autres événements hépatiques. A l’heure actuelle, les études observationnelles ont montré un degré de protection variable (entre 9 et 83%) des AR-GLP1 concernant les événements hépatiques sévères. De plus, les essais randomisés n’ont pas montré de réversibilité de la fibrose hépatique avec le liraglutide ou le sémaglutide 1 mg [4]. Les i-SGLT2 ont été associés à un plus faible risque d’événements hépatiques dans des études sud-coréennes mais la généralisation de ces résultats reste discutable. De plus, aucune des études évaluant l’impact des AR-GLP1 ne prend en compte l’utilisation d’un i-SGLT2 pendant le suivi et vice-versa. Les auteurs ont donc réalisé cette étude pour déterminer si l’utilisation des AR-GLP1 et des i-SGLT2, séparément, était associée à une réduction du risque de cirrhose (critère de jugement principal), de carcinome hépato-cellulaire, de cirrhose décompensée et de mortalité d’origine hépatique (critère de jugement secondaire), en comparaison à l’utilisation d’inhibiteurs de DPP-4 (i-DPP-4), chez des patients vivant avec un diabète de type 2 (DT2).
Les auteurs ont réalisé cette étude de cohorte à partir des données du UK Clinical Practice Research Datalink (CPRD), regroupant des données d’environ 60 millions de patients et liées aux bases de données hospitalières et nationales. Deux cohortes, avec 2 groupes comparateurs, ont été constituées. La première incluait les patients ayant débuté un traitement par AR-GLP1 ou i-DPP-4 entre le 1er janvier 2007 et le 31 mars 2020. La 2ème cohorte incluait les patients ayant débuté un traitement par i-SGLT2 ou i-DPP-4 entre le 1er janvier 2013 et le 31 mars 2020. Les critères d’inclusion dans les cohortes étaient un âge d’au moins 18 ans, un diagnostic de DT2 et au moins un an d’informations médicales dans la base de données. Les patients bénéficiant des 2 classes thérapeutiques étudiées ou qui avaient bénéficié d’une des classes thérapeutiques avant l’entrée dans l’étude ont été exclus, de même que les patients ayant une maladie hépatique préexistante à l’étude. Les patients ont été suivis de l’entrée dans la cohorte jusqu’à la survenue d’un événement d’intérêt, 6 mois après l’arrêt ou le changement de traitement, d’un décès, d’une sortie de la base de données ou la fin de l’étude, selon la condition survenant en premier. Les événements d’intérêts survenant dans les 6 premiers mois de l’étude ont été censurés. Les auteurs ont pris en compte plusieurs facteurs confondants potentiels tels que l’âge, le sexe, l’ethnie, l’indice de masse corporelle (IMC) et le statut tabagique. La sévérité du DT2 (via la mesure de l’HbA1c), la durée du diabète, les complications et la prise d’autres traitements anti diabétiques ou non ont été prises en compte, ainsi que la présence d’autres comorbidités fréquentes et le nombre d’hospitalisations dans l’année précédant l’entrée dans l’étude. Sur le plan statistique, le poids de chaque patient des groupes i-DPP-4 a été ajusté en fonction d’un score de propension, afin de rendre les groupes comparables, avec un objectif de différence standardisée < 0,10. Les auteurs ont utilisé la méthode de Kaplan-Meier pour calculer l’incidence cumulée de chaque événement et pour calculer le nombre de sujets à traiter après 5 et 10 ans de traitement. Enfin, ils ont utilisé des modèles de Cox pour estimer les Hazard Ratio (HR) pour chaque critère de jugement, comparant les classes thérapeutiques d’intérêt aux i-DPP-4. Pour les analyses secondaires, les auteurs ont voulu déterminer si l’association variait en fonction de la durée de traitement (< 1 an, 1 à 3 ans, > 3 ans), en fonction de la molécule utilisée au sein des deux classes thérapeutiques et en fonction de différentes caractéristiques clinico-biologiques telles que l’âge, le sexe, l’ethnie, l’IMC, la durée du DT2 ou l’HbA1c.
La 1ère cohorte incluait 25 516 utilisateurs d’AR-GLP1 et 186 752 utilisateurs d’i-DPP-4, avec un suivi médian de 1,5 (intervalle inter quartile [IQR] 0,6 – 3,3) et 1,7 (IQR 0,5 – 3,6) ans respectivement. Durant cette période, 707 cirrhoses ont été diagnostiquées, correspondant à un taux d’incidence de 1,4 (intervalle de confiance à 95% 1,3 – 1,5) pour 1 000 personnes-années (p-a). Avant le score de propension, les utilisateurs d’AR-GLP1 étaient plus jeunes, plus enclins à l’obésité, avaient une HbA1c plus élevée et plus de complications micro-vasculaires que les utilisateurs d’i-DPP-4. L’utilisation d’AR-GLP1 n’était pas associée à une modification du risque de cirrhose comparativement à l’utilisation d’i-DPP-4 avec un HR à 0,90 (IC 95% 0,68 – 1,19). Les analyses secondaires n’ont pas mis en évidence de différence en fonction de la durée d’utilisation, de la molécule ou des caractéristiques clinico-biologiques. Concernant le critère de jugement secondaire, 920 décompensations de cirrhose sont survenues (taux d’incidence 1,8 [1,7 – 1,9] pour 1000 p-a), ainsi que 184 carcinomes hépato-cellulaires (0,4 [0,3 – 0,4] pour 1000 p-a) et 158 décès d’origine hépatique (0,3 [0,3 – 0,4] pour 1000 p-a). Les HR pour le carcinome hépato-cellulaire (0,71, IC 95% 0,38 – 1,31) et la mortalité d’origine hépatique (0,49, IC 95% 0,23 – 1,06) étaient en dessous de 1 mais n’atteignait pas la significativité statistique.
La 2ème cohorte comprenait 33 161 utilisateurs d’i-SGLT2 et 124 431 utilisateurs d’i-DPP-4, avec un suivi médian de 1,1 (0,5 – 2,3) et 1,5 (0,5 – 3,1) ans respectivement, pendant lesquels sont survenues 414 cirrhoses, correspondant à un taux d’incidence de 1,4 (IC 95% 1,2 – 1,5) pour 1000 p-a. Les utilisateurs d’i-SGLT2 étaient plus jeunes, moins sujets à l’obésité, avaient une HbA1c plus haute, une durée de diabète plus courte et moins de complications micro- ou macrovasculaires. L’utilisation d’i-SGLT2 était associée à un plus faible risque de cirrhose, avec un HR à 0,64 (IC 95% 0,46 – 0,90). Le nombre de sujets à traiter pour éviter une cirrhose après 5 et 10 ans étaient de 376 et 163, respectivement. Concernant le critère de jugement secondaire, 521 décompensations de cirrhose ont été observées, 101 carcinomes hépato-cellulaires et 98 décès d’origine hépatique. L’utilisation d’i-SGLT2 était associée à un plus faible risque de décompensation de cirrhose : HR 0, 74 (IC 95% 0,54 – 1,00), tandis que les HR concernant les carcinomes hépato-cellulaires et les décès étaient également en dessous de 1 mais n’atteignaient pas la significativité statistique.
En résumé, dans cette étude de cohorte anglaise, l’utilisation d’AR-GLP1 n’était pas associée à une réduction du risque d’événements hépatiques sévères, contrairement à l’utilisation d’i-SGLT2 qui était associée à une réduction de 36% du risque de cirrhose et de 26% du risque de décompensation cirrhotique comparativement aux iDPP4. Ces résultats concernant les i-SGLT2 sont cohérents avec les résultats d’études observationnelles précédentes, et pourraient être expliqués par une réduction de l’accumulation de graisse intra-hépatique via la perte de poids et la diminution de l’inflammation, ou encore par une participation de l’effet diurétique qui pourrait notamment réduire les événements aigus tels que les décompensations cirrhotiques.
Les forces de cette étude sont la prise en compte de nombreux facteurs de confusion potentiels, l’utilisation d’un comparateur actif et la prise en compte des nouveaux utilisateurs de chaque classe thérapeutique uniquement, afin de limiter les biais ainsi que le design de l’étude, qui excluait notamment la survenue d’événements dans les premiers mois de l’étude. Les limites étaient les erreurs potentielles de classification des patients dans chaque groupe, du fait de la nature de la base de données qui n’est pas directement liée aux prescriptions des spécialistes ou de potentielles erreurs de classifications des événements hépatiques. Enfin, il n’est pas clair si les effets observés passent par une réduction du poids, une baisse de l’HbA1c ou par d’autres mécanismes, ou encore s’ils sont en lien avec une réduction de la graisse intra-hépatique.
En conclusion, dans cette large étude populationnelle anglaise, l’utilisation d’i-SGLT2 était associée à un risque plus faible de cirrhose et de décompensation cirrhotique comparativement à l’utilisation d’i-DPP-4, mais pas à un plus faible risque de carcinome hépato-cellulaire ou de décès d’origine hépatique, chez les patients vivant avec un DT2. Ces associations n’ont pas été retrouvées avec les AR-GLP1. D’autres études avec une durée de suivi plus longue restent cependant nécessaires afin de corroborer ces conclusions.
Références
from Société Francophone du Diabète https://ift.tt/nKt7WUm