Les accidents vasculaires cérébraux constitués (AVC) et les accidents ischémiques transitoires (AIT) concernent 14 millions de patients par an à travers le monde et représentent un problème majeur de santé publique, compte tenu des conséquences potentielles d’un AVC constitué en termes de handicap, d’incapacité et de dépendance [1]. De plus, les patients victimes d’un événement cérébro-vasculaire sont à très haut risque vasculaire, avec une forte probabilité, à court ou moyen terme, de récidiver un AVC/AIT ou de présenter un accident coronarien [2]. La prise en charge de ce haut risque cardiovasculaire fait d’ailleurs partie intégrante des objectifs thérapeutiques à suivre chez ces patients qui présentent fréquemment une hypertension artérielle, une dyslipidémie ainsi qu’une hyperglycémie, ou un diabète. De plus, même en l’absence de diabète, l’insulinorésistance est fréquente dans cette population, concernant plus de 50% des sujets [3]. La fréquence de cette anomalie métabolique dans le contexte cérébro-vasculaire a conduit les auteurs à élaborer l’étude IRIS (Insulin Resistance Intervention after Stroke), avec l’hypothèse que la pioglitazone (PIO), médicament améliorant l’insulinorésistance (IR), pourrait diminuer le risque cardiovasculaire après AVC ou AIT chez des patients non diabétiques, mais insulinorésistants.
Cette étude internationale, randomisée, en double aveugle, a inclus des sujets de plus de 40 ans, qui avaient présenté un AVC ou un AIT dans les 6 mois et dont le HOMA-IR (glycémie à jeun (mmol/L) x insulinémie à jeun (µUI/mL) / 22,5) était supérieur à 3,0 reflétant une IR (quartile supérieur de l’IR pour les sujets non diabétiques). L’épisode cérébro-vasculaire pouvant majorer transitoirement l’IR, la mesure de l’HOMA-IR n’était pas réalisée dans les 15 premiers jours suivant l’événement. Les sujets diabétiques, définis par les critères ADA 2005 et/ou une HbA1c ≥ 7%, étaient exclus. De même, les patients présentant une insuffisance cardiaque, une maladie hépatique évolutive, des œdèmes ou encore un antécédent ou un risque de cancer de vessie ne pouvaient pas participer à cette étude, en raison des contre-indications à utiliser la PIO dans ces différents contextes. Les patients éligibles étaient alors randomisés 1:1 pour recevoir PIO ou placebo (PCB) à la dose initiale de 15 mg/j, augmentée progressivement jusqu’à 45 mg/j à partir de la 8ème semaine de traitement, sauf en cas de survenue d’œdèmes, de dyspnée d’effort ou d’une prise de poids excessive, situations qui pouvaient conduire au maintien d’une plus faible dose. Bien sûr, en cas de survenue d’une insuffisance cardiaque avérée, d’un cancer de vessie ou de fractures osseuses à basse énergie, le traitement était définitivement interrompu. Le traitement a été poursuivi pendant 5 années, avec une surveillance de l’observance tous les 4 mois. Le critère d’évaluation primaire était un critère composite : nouvel AVC ou infarctus du myocarde (IDM) fatal ou non fatal. Les critères d’évaluation secondaire étaient les suivants : AVC, syndrome coronarien aigu, hospitalisation pour insuffisance cardiaque, mortalité globale, survenue d’un diabète et déclin cognitif (évalué par MMS).
Un total de 3876 patients (1939 PIO, 1937 PCB) a été analysé. Les caractéristiques de base des patients étaient superposables dans les groupes PIO/PCB : l’âge moyen était de 63,5 ans et l’HbA1c de 5,8% dans les deux groupes ; l’événement index était un AVC à 88%/87% ; la durée moyenne entre l’événement index et la randomisation était de 81/79 jours ; le HOMA-IR moyen était de 4,7/4,6, respectivement. Dans les deux groupes, les patients ont reçu de façon identique les traitements appropriés de prévention secondaire cardiovasculaire (notamment, 82% recevaient des statines, 92% des antiagrégants plaquettaires, 55% des IEC ou ARA2). Au cours des 4,8 années de suivi moyen, 227 patients (5,9%) ont retiré leur consentement et 99 autres (2,6%) ont été perdus de vue. Au total, 175 et 151 patients des groupes PIO et PCB ont arrêté le traitement avant la fin du suivi. A la fin de l’étude, l’observance était moins bonne dans le groupe PIO, 60% des patients prenant encore le traitement, contre 67% dans le groupe PCB. Les causes d’arrêt de traitement dans le groupe PIO étaient plus fréquemment dues à la survenue d’œdèmes, d’insuffisance cardiaque, de fractures et à une prise de poids. Le critère primaire (AVC ou IDM) est survenu pour 175/1939 patients (9,0%) dans le groupe PIO et pour 228/1937 patients (11,8%) dans le groupe PCB, soit un hazard ratio (HR) de 0,76 [0,62-0,93] pour le groupe PIO (p=0,007). Parmi les critères secondaires, seule la survenue d’un diabète au cours du suivi était plus rare dans le groupe PIO que dans le groupe PCB (HR 0,48 [0,33-0,69], p<0,001). Il n’a par ailleurs pas été trouvé de différences significatives pour les autres critères d’évaluation. Concernant les paramètres de risque, HOMA-IR et CRP étaient significativement inférieurs dans le groupe PIO que dans le groupe PCB à 1 an. Dès la première année et durant toute l’étude, dans le groupe PIO comparativement à PCB, la glycémie à jeun, les triglycérides et la pression artérielle systolique étaient diminués alors que le HDL et le LDL étaient augmentés. Concernant la tolérance, le poids augmentait de +2,6 kg dans les groupe PIO comparé à une perte de -0,5 Kg dans le bras PCB à la 4ème année. A noter que dans le groupe PIO, 52,2% des patients ont présenté une prise pondérale ≥ 4,5 Kg et 11,4% ont pris plus de 13,6 Kg. De façon attendue, les œdèmes sont survenus chez 35,6/24,9% (p<0,001) et les fractures chez 5,1/3,2% (p<0,003) des patients des groupes PIO/PCB, respectivement. Aucune différence significative n’a été observée entre les groupes PIO et PCB concernant les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (n=51 vs 42, p=0,35) ni concernant les cancers de vessie (n=12 vs 8, p=0,37) ou tous les cancers (n=133 vs 150, p=0,29).
Cette étude montre donc un effet cardiovasculaire bénéfique de la pioglitazone dans une population de sujets insulinorésistants non-diabétiques en prévention secondaire cardiovasculaire. Ce résultat contraste avec les deux principales études d’intervention cardiovasculaires précédemment conduites avec des médicaments de la classe des glitazones. En effet, l’étude PROactive avec la pioglitazone et l’étude BARI-2D avec la rosiglitazone, n’avaient pas montré de bénéfice de ces molécules sur le critère primaire composite choisi [4,5]. Cependant, dans l’étude PROactive, la pioglitazone avait montré sa supériorité sur le critère composite secondaire associant décès, IDM et AVC, résultat concordant avec l’étude IRIS.
Les résultats positifs de cette étude, en faveur de la pioglitazone, s’inscrivent en France dans un contexte bien particulier puisque nous ne disposons plus de médicament de la classe des glitazones depuis bientôt 5 années. En effet, les autorités de santé européennes ont décidé de suspendre l’AMM de la rosiglitazone en septembre 2010, suite à la célèbre méta-analyse controversée de Nissen, qui montrait une augmentation du risque d’infarctus avec cette molécule [6]. Quelques mois plus tard, en juin 2011, l’ANSM suspendait l’AMM de la pioglitazone, suite à la publication d’une étude observationnelle qui suggérait que cette molécule augmentait le risque de cancer de vessie [7]. Depuis, de nouveaux éléments scientifiques ont été publiés et sont en faveur de la sécurité cardiovasculaire de la rosiglitazone (étude RECORD et nouvelles méta-analyses) [8,9]. Ces nouvelles preuves ont été jugées suffisamment crédibles par la FDA qui a assoupli les règles de prescription de cette molécule aux Etats-Unis depuis décembre 2015. De même, plusieurs études ont écartés l’hypothèse d’un risque accru de cancer de vessie ou de cancer toute cause avec la pioglitazone, quelque-soit la dose utilisée et l’ancienneté du traitement [10]. Quoi qu’il en soit, en France, la suspension de l’AMM de la pioglitazone est toujours en vigueur alors que ce médicament est utilisé dans de nombreux pays d’Europe et aux Etats-Unis. Espérons que les résultats favorables de l’étude IRIS inciteront les autorités de santé françaises à réévaluer la balance bénéfice/risque de la classe des glitazones. Il semble raisonnable de reconsidérer leur utilisation à nouveau, en réservant peut-être leur prescription aux diabétologues, qui connaissent bien le profil de risque particulier de ces molécules, mais qui se souviennent également de la grande efficacité de ces traitements sur l’équilibre métabolique de leurs patients.
Références
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